Catholiques au Vietnam aujourd’hui – une longue histoire de survie et d’adaptation
La survie du catholicisme au Viêt Nam est sans doute l’un des défis les plus importants auxquels l’Église est confrontée en Asie aujourd’hui. Introduite au XVIe siècle par des missionnaires portugais, espagnols et dominicains, l’Église catholique a connu une croissance significative au XVIIe siècle, stimulée en partie par l’activité missionnaire des Jésuites, parmi lesquels Alexandre de Rhodes s’est imposé comme une figure particulièrement influente.
De Rhodes a contribué à la création de l’alphabet vietnamien romanisé (chữ Quốc ngữ), qui a remplacé les caractères chinois traditionnels et les caractères développés par les Vietnamiens, qui étaient en usage auparavant.
Malgré des périodes de tolérance, la foi catholique a été soumise à des persécutions sévères, particulièrement entre le XVIIIe et le XIXe siècles sous la dynastie Nguyễn, entraînant le martyre de dizaines de milliers de fidèles : entre 130 000 et 300 000 catholiques ont perdu la vie, et 117 d’entre eux ont été canonisés en tant que martyrs vietnamiens par Jean-Paul II en 1988.
Au XXe siècle, la communauté catholique a enduré les événements dramatiques de la colonisation française, la division du pays en 1954 et la guerre du Viêt Nam. Après la réunification en 1975 sous le régime communiste, l’Église a fait face à des restrictions importantes, à des expropriations et à des contrôles d’État, tout en restant active par le biais de catéchistes et de structures paroissiales.
Aujourd’hui, avec environ 7 millions de fidèles (environ 7 % de la population de plus de 100 millions), le Viêt Nam accueille la cinquième plus grande communauté catholique d’Asie et l’une des plus dynamiques, caractérisée par un grand nombre de vocations sacerdotales et religieuses et des baptêmes annuels (plus de 100 000).
Les relations entre l’Église catholique et l’État vietnamien, historiquement tendues sur les questions de liberté religieuse et de nominations épiscopales, ont connu un dégel progressif au cours des dernières décennies.
Depuis décembre 2023 , une phase d’ouverture a effectivement commencé qui reflète la détermination de la communauté catholique et son rôle dans le contexte d’un Viêt Nam en modernisation rapide.

Comment décrire l’évolution de la relation entre l’État vietnamien et l’Église catholique à l’aube de 2026 ?
A travers l’histoire, la relation entre l’État vietnamien et l’Église catholique a été façonnée par une longue histoire de méfiance réciproque, de conflits politiques et d’accommodations progressives.
Le XXe siècle a ajouté une nouvelle couche idéologique à ces divisions. Après la suppression de l’Église catholique en Union soviétique et plus tard en Chine communiste, le Saint-Siège a adopté une position ferme contre la collaboration avec les régimes communistes. Cela a renforcé la perception—particulièrement parmi les révolutionnaires vietnamiens—que le catholicisme était intrinsèquement anticommuniste.
Dans le Sud Vietnam nationaliste, l’identité catholique du président Ngô Đình Diệm pendant les années soixante a davantage politisé la religion, tandis que dans le Nord, communiste après 1954, la coopération limitée de l’Église avec la République démocratique du Viêt Nam a accru la méfiance mutuelle.
Après la réunification du Vietnam par la force en 1975, l’Église catholique est entrée dans une période très difficile marquée par le contrôle d’État, la confiscation des propriétés de l’Église, les restrictions sur les séminaires et la surveillance étroite de la vie religieuse.
Au fil du temps, cependant, en particulier suite aux réformes du Đổi Mới de la fin des années 1980, la relation a commencé à changer. L’État vietnamien a du progressivement reconnaitre que les communautés catholiques pouvaient être des partenaires sociaux, particulièrement dans l’éducation, les soins de santé et les œuvres caritatives.
Aujourd’hui, bien que les tensions et les restrictions persistent, la relation entre l’Église et l’État est plus stable et pragmatique qu’à n’importe quel moment de l’histoire vietnamienne moderne. Un certain dialogue a remplacé l’hostilité ouverte, et la normalisation progressive des relations entre le Viêt Nam et le Saint-Siège reflète ce changement plus large.
Ce que nous observons maintenant n’est pas une confiance totale, mais une coexistence prudente.
Pendant des décennies après 1975, la mainmise de l’Etat s’est traduite par un contrôle strict et des restrictions systématiques. De nombreux membres du clergé ont été arrêtés ou placés sous une surveillance étroite. Les congrégations religieuses ont été dissoutes, les séminaires fermés et les publications catholiques interdites. Les écoles, hôpitaux et institutions caritatives gérés par l’Église ont été nationalisés, et de grandes portions des terres de l’Église ont été confisquées. Même les grandes célébrations religieuses telles que Noël et Pâques ont été restreintes, avec des limites sur l’assistance. Les rassemblements catholiques—même à l’intérieur des églises—ont été étroitement surveillés.
Pendant cette période, l’État n’a pas pu éliminer l’Église complètement. Au lieu de cela, il a du autoriser l’Église d’exister mais avec une visibilité et une influence minimales dans la société. Certes, il y a aussi eu une tentative d’établir une structure catholique parallèle dite « patriotique » parrainée par l’État, similaire à ce qui a émergé en Chine. Cet effort a finalement échoué, en grande partie parce que la plupart des évêques vietnamiens ont explicitement découragé le clergé de participer à des organismes parrainés par le gouvernement ou de servir comme représentants dans les institutions politiques.
Au cours de la dernière décennie, les signes d’espoir sont devenus de plus en plus visibles. Depuis 2009, les relations bilatérales se sont améliorées de manière significative, renforcées par plusieurs visites de haut niveau au Vatican de la part de dirigeants vietnamiens, notamment le premier ministre et le secrétaire général du Parti communiste. Ces développements ont abouti en 2023 à la nomination d’un représentant pontifical résident permanent au Viêt Nam—le premier depuis 1975.
Cette étape reflète une reconnaissance mutuelle que l’Église catholique peut contribuer positivement à la vie nationale, particulièrement dans des domaines tels que le service social, la formation morale et la cohésion communautaire.
Des défis demeurent certainement, particulièrement en ce qui concerne les cadres juridiques, les droits de propriété et les limites de l’autonomie religieuse. Mais comparé aux décennies d’après 1975, le moment présent représente un véritable changement.
Ce que nous voyons est pas une liberté complète, mais une transition progressive du contrôle au dialogue, et de la suspicion à la confiance prudente.
La force de la communauté catholique.
Pendant de nombreuses années après 1975, les catholiques ont appris à garder un profil bas pour survivre dans un environnement politique restrictif. Aujourd’hui, ils ne ressentent plus le même besoin de cacher leur identité religieuse.
Un autre facteur clé est le caractère communautaire fort de la vie catholique vietnamienne. Les paroisses ont tendance à être très unies, avec une participation active à travers les générations. Les vocations au sacerdoce et à la vie religieuse sont particulièrement fortes.
La diaspora catholique vietnamienne a également joué un rôle crucial dans ce renouveau. Les catholiques vivant à l’étranger ont fourni un soutien financier, éducatif et pastoral significatif. De nombreuses églises au Viêt Nam ont été rénovées ou nouvellement construites avec l’aide des communautés à l’étranger.
Les séminaristes, prêtres et religieuses peuvent voyager et recevoir une formation théologique dans des endroits tels que les Philippines, l’Europe, l’Australie, le Canada et les États-Unis, souvent grâce à des bourses financées par la diaspora. Lorsqu’ils reviennent, ils apportent une vision plus large de l’Église et de son rayonnement démocratique dans le monde.
Pris ensemble, ces facteurs aident à expliquer pourquoi l’Église catholique au Viêt Nam semble si dynamique aujourd’hui. Sa vitalité réside moins dans la croissance numérique que dans la résilience, les liens communautaires forts, les vocations abondantes et un sentiment renouvelé de confiance après des décennies de contrainte. Cette combinaison rend le catholicisme vietnamien remarquable dans le contexte plus large asiatique : des racines sociales profondes, une discipline morale et un fort sens de la responsabilité communautaire.



