Vietnam: trente ans perdus et quel avenir?

                Thierry oppikofer, Président du Comité Suisse-Vietnam (Cosunam), Samedi 30 avril 2005

"Des millions de Vietnamiens, souvent jeunes, restent sous le joug d'un régime qui conjugue contrôle et répression d'une part, corruption et exploitation des travailleurs d'autre part."

Ce 30 avril marque, pour les Vietnamiens, le jour anniversaire de la chute de Saigon, en 1975. Le gouvernement actuel, son parti unique et ses relais habituels parlent de libération et de réunification, les nombreux Vietnamiens vivant hors de leur pays d'origine évoquent plutôt la victoire d'un régime qui allait, dès les premiers jours, entamer une politique de règlements de comptes et installer son pouvoir sans partage.

Aujourd'hui, lesVietnamiens et les Suisses membres du Comité Suisse Vietnam pour la liberté et la démocratie (Cosunam), créé voilà quinze ans, entendent cependant regarder vers le présent et l'avenir, laissant aux gouvernants communistes le soin de justifier par les guerres d'il y a trente ans la situation de misère et l'absence de liberté dont souffre leur population.

Depuis quinze ans, la plupart des régimes totalitaires de droite ou de gauche se sont fort heureusement écroulés. Parmi les derniers, celui du Vietnam continue à réprimer toute opposition, tout syndicalisme, tout exercice libre de la religion. C'est l'un des rares pays à filtrer l'accès à Internet ou à faire payer au destinataire la remise de son courrier - dûment examiné bien entendu.

Aujourd'hui, le Vietnam est un pays pauvre, sous une façade de grands hôtels modernes profitant aux touristes et de relative libéralisation économique bénéficiant aux apparatchiks. Héritier de 5000 ans de culture, ce pays voit ses ouvrières fabriquer des baskets pour des groupes américains… en portant un bâillon pour que leur bavardage ne nuise pas à leur productivité!

Mais les générations passent. Les milliers de Vietnamiens réfugiés et leurs enfants, formés dans les pays occidentaux, ont quasiment tous réussi à s'intégrer brillamment et à apporter beaucoup à leur nouveau pays sans jamais renier leurs racines. Cette communauté manifeste sa reconnaissance à la Suisse et aux autres Etats qui lui ont donné la chance de s'épanouir. Des étudiants des années 70 aux boat-people fuyant la dictature, tous ou presque représentent un formidable potentiel pour faire un véritable Etat rayonnant du Vietnam de demain, débarrassé des scories staliniennes et - ce sera plus difficile - de la corruption généralisée qui le gangrènent.

Au Cosunam comme ailleurs, il n'y a pas de nostalgiques du régime du Sud-Vietnam, ni de la période coloniale. Qu'ils soient de gauche ou de droite, bouddhistes ou chrétiens, nés en Suisse ou arrivés du Vietnam après mille péripéties, tous les Vietnamiens et amis du Vietnam savent que si les autorités de pays comme le nôtre, au lieu d'attribuer avec automatisme des aides au développement, manifestaient ne serait-ce qu'une préoccupation pour tel ou tel emprisonnement de dissident, telle ou telle exaction, tel ou tel détournement des fonds humanitaires, les despotes de Hanoï seraient obligés de changer très vite d'attitude.

Des personnalités comme l'ancien maire de Genève Michel Rossetti, ou le conseiller fédéral René Felber, ainsi que de nombreux élus, tous partis confondus, l'avaient bien compris. Dans la nouvelle génération, organisations de défense des droits de l'homme et élus se lèvent peu à peu pour exiger que l'appui économique au Vietnam soit conditionné par un certain nombre de réformes aboutissant au pluripartisme et à la démocratie.

A ce jour, notre ministre genevoise des Affaires étrangères reste sourde à ces appels. Pourtant, dans la fameuse "résolution 36" adoptée voilà plus d'un an par le parti communiste et le gouvernement vietnamien, figurent en toutes lettres des instructions aux représentants diplomatiques du pays, selon lesquelles ils doivent user de tout moyen approprié pour séduire la communauté vietnamienne à l'étranger (et l'inviter à faire rentrer des devises au Vietnam), mais aussi combattre les menées antisocialistes de celles et ceux qui voudraient "saboter la réconciliation" - autrement dit critiquer le régime.

Cette menace implicite, de la part d'un Etat étranger, à l'encontre de citoyens suisses, qu'ils soient d'origine vietnamienne ou non, n'a pas donné lieu à la moindre remarque de Berne.

Aujourd'hui, des millions de Vietnamiens, souvent jeunes, restent sous le joug d'un régime qui conjugue contrôle et répression d'une part, corruption et exploitation des travailleurs d'autre part. On charge, baïonnette au canon, les processions religieuses; on enferme et on torture les éventuels opposants (y compris d'anciens généraux communistes jugés suspects); la prévarication et l'arbitraire règnent (des jugements sont publiés avant la fin du procès, tout suspect peut être indéfiniment retenu sans inculpation); l'armée et le parti unique gèrent soigneusement leurs goulags et prisons: que faut-il pour que la Suisse s'inquiète?

Plusieurs pays européens ont déjà posé des conditions pour continuer à entretenir des relations de développement avec Hanoï, et notamment l'Allemagne, avec des succès notables.

Notre souhait, après ces trente ans de nouvelles souffrances, est qu'un jour, les Vietnamiens puissent remercier notre pays, non plus seulement d'avoir accueilli les réfugiés, mais d'avoir ouvert les yeux et agi à la mesure de ses moyens pour une transition rapide et pacifique vers la démocratie au Vietnam.