MEMOIRE
- HISTOIRE - ESPOIR
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Hoàng Thụy Cơ,
Lausanne 30 avril 2005.
Je suis moitié vietnamienne née en Suisse.
Je ne suis jamais allée au Vietnam, je n'étais même pas née
le 30 avril 1975, alors de quoi puis-je donc bien témoigner
aujourd'hui ? Que représente pour moi le 30 avril 1975 ?
Le témoignage que je viens aujourd'hui
apporter, c'est celui d'une jeune Vietnamienne qui n'a pas connu
la guerre, qui n'a pas connu les camps, qui n'a pas connu les
bateaux, les privations, les souffrances. Ce dont je viens
témoigner, c'est du point de vue qu'un jeune peut avoir à
l'égard de l'histoire.
Car le 30 avril 1975 est une date historique.
Tout jeune vietnamien devrait connaître cette date qui
représente l'un des repères de l'histoire du 20e siècle, tout
autant que la fin de la première guerre mondiale en 1918, et de
la deuxième guerre mondiale le 8 mai 1945. Avec le 30 avril
1975, l'histoire du Vietnam a basculé, et avec elle, c'est
l'histoire d'un peuple tout entier, et c'est aussi notre
histoire, à nous les jeunes Vietnamiens de la deuxième
génération. Sans le 30 avril 1975, nous ne serions
certainement pas ici.
Chaque jeune vietnamien en Suisse revendique
son origine avec fierté. Nous aimons le Vietnam, nous aimons la
cuisine vietnamienne, nous aimons les valeurs vietnamiennes,
nous aimons la notion de famille et de solidarité
vietnamiennes. Nous aimons aussi la Suisse, la vie en Suisse,
nous avons la chance de connaître une existence stable avec le
droit à l'éducation, les libertés fondamentales et notre
avenir est ouvert dans ce pays. Cette double identité est le
fruit du 30 avril 1975. C'est la raison de notre double
appartenance. Chaque fois que j'explique autour de moi que je
suis d'origine vietnamienne, ces mots me rappellent qu'il y a eu
avril noir, qu'il y a le non-retour pour les Vietnamiens qui
étaient déjà partis, comme mon père et beaucoup d'autres, et
qu'il y a eu tous les boat people après eux.
En tant que vietnamienne de la deuxième
génération, je pense qu'il faut affirmer sa double culture,
mais je pense aussi qu'il ne faut pas oublier pourquoi nous
avons cette double culture, pourquoi nous sommes des Vietnamiens
de la diaspora, pourquoi nous vivons en Suisse et pas au
Vietnam. A cet égard, le 30 avril 1975 fait partie intégrante
de notre identité de Vietnamiens de la deuxième génération
parce qu'il marque le symbole de la naissance des communautés
vietnamiennes à l'étranger dont nous faisons partie.
Il ne s'agit pas aujourd'hui de faire revivre
le passé, il ne s'agit pas de vengeance. Il s'agit de respect.
De respect pour notre propre identité, pour nous-mêmes.
Comprendre avril 1975 c'est pour moi comprendre ma propre
histoire, et l'histoire de tant d'autres. Vouloir oublier cela,
c'est comme vouloir effacer notre origine, effacer le tournant
de l'histoire qui nous a conduit où nous sommes. On n'efface
pas l'histoire. L'histoire reste. Et respecter l'histoire, c'est
aussi la comprendre et en tirer les leçons. Et celle d'avril
1975 est pour moi une grande leçon de vie. C'est l'histoire de
millions d'espoirs brisés, d'illusions perdues, de rêves
volés. Car le 30 avril 1975 n'est pas la simple et heureuse
réunification du Vietnam. Si ça avait été le cas, personne
ne serait parti.
Il y a un an, lors d'un colloque que la Ville
de Genève organisait avec les autorités vietnamiennes, j'ai
posé la question à un cadre communiste vietnamien du
Ministère de la Culture : Pourquoi croyez-vous que plus d'un
million de personnes ont quitté le nord en 1954, pourquoi
croyez-vous que plus de deux millions de personnes ont fui le
pays après 1975, sans compter tous ceux qui sont morts ?
Pourquoi ont-ils risqué les pirates, la famine, les viols, la
pire pauvreté, la solitude, la mort ? Pourquoi ? - Parce que,
m'a-t-il dit, ils ont été trompés par les mirages de
l'Occident. Le gouvernement communiste vietnamien a encore
aujourd'hui une attitude hypocrite et pernicieuse à l'égard de
l'histoire du peuple vietnamien. Il ne veut pas reconnaître
l'échec de son système et jette plutôt le blâme sur
l'Occident. Grosso modo, nous avons été aveugles, et notre vie
en Occident n'est qu'un mirage. Un mirage ? Je pense plutôt que
c'est la liberté et les perspectives d'avenir au Vietnam qui ne
sont que des mirages. Les promesses du gouvernement vietnamien
sont des mirages, même des mensonges.
Je me suis beaucoup intéressée à
l'histoire du Vietnam et comme n'importe quelle jeune en Suisse,
j'ai accès à l'information des bibliothèques, des sites
internet de tout genre. Et à force de recherche, je me suis
rendue compte que l'analyse de l'histoire du Vietnam est remplie
de mensonges. De mensonges que le gouvernement communiste a
subtilement introduit et laissé grandir, des fausses idées que
l'inconscient collectif accepte aujourd'hui comme des vérités
historiques. Alors en venant parler aujourd'hui d'un événement
passé, j'essaie de jeter un regard nouveau sur le 30 avril, je
viens témoigner et rappeler certains événements que trop de
gens ne connaissent pas et qui viennent donner un autre
éclairage à l'histoire.
Je vais simplifier au maximum car la liste
serait longue mais voici quelques caricatures dont s'est nourri
le gouvernement communiste, contrebalancée par ma vérité :
La guerre a été une guerre du peuple
vietnamien contre l'envahisseur colonialiste impérialiste
américain. NON ! La guerre a été voulue par le gouvernement
de Ho Chi Minh, soutenu par le bloc communiste de l'Est, Moscou
en tête, pour étendre l'emprise communiste à tout le Vietnam.
C'est une guerre fratricide où Hanoi a su tromper de bons
nationalistes en leur faisant croire que le seul moyen
d'acquérir l'indépendance du Vietnam c'était la guerre.
Les Américains ont été les auteurs des
pires horreurs durant la guerre, notamment le massacre de My
Lai. VUE PARTIELLE ET INCOMPLETE !! Les génocides n'ont pas
été le privilège des Américains. Les Viet Cong et l'armée
du nord ont rompu la paix du Têt Mau Than en 1968 et a attaqué
de nombreuses villes au Sud, tué des milliers de civils, leurs
propres frères, dans des exécutions sommaires, en les jetant
dans des fosses communes, notamment à Hue où la population a
été massacrée.
Des moines se sont immolés en 1963 en signe
de protestation face au gouvernement de Ngo Dinh Diem au Sud.
Longtemps, les bonzes de l'Eglise bouddhiste unifiée ont été
les partisans de la paix. Oui, mais qui sait au monde que à
peine six mois après cette paix tant attendue par certains, en
novembre 1975, 15 religieux se sont immolés à la pagode de
Duoc Su en signe de protestation face à la violente répression
de la religion par le gouvernement communiste. Ce même
gouvernement s'est hâté de camoufler l'affaire en affirmant
qu'il s'agissait de détraqués sexuels. Les membres de cette
même Eglise sont encore aujourd'hui emprisonnés, maltraités
et réclament haut et fort la liberté de religion et les droits
fondamentaux pour le peuple vietnamien.
La population chinoise a fui le Vietnam par
centaine de milliers de personne. Complot de Pékin, clame le
gouvernement vietnamien. MENSONGE à nouveau. La population
chinoise a été particulièrement maltraitée par le
gouvernement communiste et a choisi l'exode plutôt que les
privations, les humiliations, l'endoctrinement, voire la mort
dans les camps. Et elle n'est pas la seule, plusieurs millions
de Vietnamiens ont fait ce choix au nom de la liberté.
Aujourd'hui, 30 ans après, ces mensonges
perdurent dans l'imaginaire des gens. Alors moi qui n'ai rien
vécu de tout cela, moi qui aie la chance de vivre en
sécurité, en paix en Suisse, la moindre chose que je puisse
faire, c'est jeter un regard respectueux sur le passé. Un
regard dénué de haine ou de vengeance, mais un regard lucide
et honnête. Mais aussi un regard plein d'espoir. D'espoir que
rien de tout cela ne pourra jamais se reproduire, et c'est aussi
la leçon que l'histoire peut nous apprendre. Connaître
l'histoire pour éviter qu'elle se répète, pour éviter que
l'indicible ne devienne banal, éviter que le crime ne
s'humanise ou soit dénué de son horreur. Il s'agit d'espérer
que bientôt chaque personne au Vietnam pourra être libre de
témoigner de sa propre histoire sans craindre les
répercussions gouvernementales sur sa famille, sur ses proches,
sans se sentir forcé d'encenser le régime pour sauver sa
propre peau ou vivre un peu mieux. J'espère sincèrement que
viendra bientôt le temps où chaque Vietnamien pourra vivre
librement dans un pays où il sentira qu'il peut œuvrer, et non
dans un pays où le rêve collectif est de pouvoir en échapper.
Commémorer le 30 avril 1975, c'est pour moi
un devoir de mémoire. C'est pour moi un regard respectueux et
lucide sur l'histoire. C'est pour moi une façon d'avoir pour le
Vietnam de l'espoir. Mémoire, histoire, espoir, voilà mon
témoignage, je vous remercie tous d'être la mémoire vivante
du Vietnam, et je suis heureuse d'avoir l'occasion de partager
ce moment afin que plus tard, moi-même, je puisse transmettre
l'histoire et l'espoir aux générations futures.
Hoàng Thụy Cơ,
Lausanne 30 avril 2005.